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J’ai envie de vous parler d’un livre qui me tient à cœur, parce qu’il m’a profondément émue et qu’il m’a donné matière à réfléchir. C’est un ouvrage qui m’a réellement marquée et qui propose des points de vue très intéressants sur l’esclavage et la religion. Il s’agit de La Controverse de Valladolid par Jean-Claude Carrière. Attention, je ne veux pas du tout faire de prosélytisme ou au contraire de l’anticléricalisme : je ne critique que l’esclavage, pas la religion. Je crois que l’on sera tous d’accord là-dessus !
Mais
avant de vous en dire plus sur ce roman, je dois situer le contexte
historique sur lequel il s’appuie. Je signale également qu’un film a été
tourné à partir de la pièce de théâtre originale de Jean-Claude
Carrière, mais je l’ai vu il y a un moment déjà et je n’ai pas
grand-chose à en dire (excepté que j’en garde une impression plutôt bonne). Il a
été réalisé en 1991 par Jean-Daniel Verhaeghe, avec Jean-Louis
Trintignant et Jean-Pierre Marielle dans les rôles principaux.
Le contexte historique :
1492 :
Christophe Colomb découvre l’Amérique. Tout le monde connaît cette
date, présente dans tous les manuels d’histoire. Mais que
représente-t-elle vraiment ? C’est un bouleversement à la fois pour les
Espagnols et pour les Indiens. Le problème, c’est que les uns s’en
remettent plus vite que les autres... Deux modes de vie qui
s’affrontent, deux civilisations que tout oppose et qui se retrouvent
brusquement face à face. Naturellement, un rapport de force s’installe
et l’une des parties tente de dominer l’autre. Elle y parviendra
d’ailleurs sans trop de mal.
En effet, quand les conquistadores
arrivent dans le Nouveau Monde, ils sont accueillis par des Indiens
ébahis mais chaleureux. Ces « bons sauvages » leur offrent des présents
somptueux et les traitent comme des dieux, leur remettant leur or et
tout ce qu’ils possèdent. En échange, les colons apportent la guerre, la
mort et l’esclavage. Ils sont persuadés que leur devoir est de
civiliser ce « peuple inférieur » et de le convertir à la vraie foi, le
catholicisme (quitte à utiliser pour cela des moyens contestables). Mais
rapidement, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contres ces
injustices et contre ces massacres commis au nom de Dieu.
Parmi
les hommes qui choisissent de défendre la cause des Indiens se trouve un
dominicain, Bartolomé de Las Casas, prêtre en Amérique. Il souhaite se
faire le porte-parole de ceux qu’il considère comme ses frères dans le
sang du Christ : s’il admet la nécessité de les évangéliser, il veut le
faire sans violence. Il juge la patience préférable, à force de charité
et d’explications théologiques.
Il s’oppose donc à la parution d’un
livre de Ginès de Sépulvéda prônant la guerre sainte comme moyen
d’accomplir la volonté divine. Ce philosophe reprend à son compte les
idées d’Aristote pour établir des distinctions entre les hommes et pour
les classer en différentes catégories, tout en soutenant que la
conversion ne peut se faire que par le sang et les armes.
Vers
1550 a lieu à Valladolid (en Espagne) une controverse opposant plusieurs
protagonistes, à la demande du roi Charles Quint. À l’époque, on entend
par « controverse » quelque chose comme « débat », « rencontre »,
« dispute ». Cet affrontement a pour but de définir clairement le statut
des Indiens, en décidant s’ils ont une âme (s’ils sont humains et ont
donc une chance de gagner un jour le paradis), ou s’ils n’existent que
pour servir les Espagnols (comme du bétail). La réponse à cette question
est primordiale car elle pourrait entraîner soit l’éradication du
peuple indien, soit le retrait des Espagnols en Amérique.
Las
Casas et Sépulvéda ne sont pas les participants réels de cette
controverse, dont on ignore presque tout. Mais l’on sait qu’ils ont
échangé des lettres et fait des déclarations contradictoires ; ils
présentèrent plusieurs arguments afin de convaincre l’Église et la
royauté. Si les conclusions de cette controverse demeurent aujourd’hui
inconnues, rien ne nous interdit d’imaginer…
Le roman :
C’est
ce que fait l’écrivain Jean-Claude Carrière dans un roman publié chez
Pocket en 1993 (il l’avait écrit un an auparavant, à l’occasion du 500e
anniversaire de la découverte de l’Amérique). À partir des éléments
réels évoqués ci-dessus, il réécrit la scène telle qu’elle a pu se
dérouler en respectant le plus possible la réalité historique. Il
reprend les mêmes personnages, les place dans la même situation et leur
attribue des arguments tout à fait probables. Il se base sur les
principales idées répandues à l’époque et résume l’essentiel des
positions des deux parties (pour et contre l’esclavage) en faisant appel
à de multiples ressources. Le résultat est un impressionnant hymne à la
tolérance, au respect d’autrui, à la fraternité et surtout à la
compréhension !
Les deux protagonistes sont approfondis et
développés de manière cohérente. Sépulvéda est un philosophe qui manie
très bien la logique et la rhétorique (beaucoup mieux que Las Casas) ;
c'est un excellent orateur au discours parfaitement organisé, pour qui
la forme compte parfois plus que le fond. Il a rarement eu l'occasion de
se retrouver confronté à de véritables Indiens sur leur territoire,
mais ses arguments, s'ils ne sont pas toujours recevables, restent très
cohérents et passent donc plus facilement auprès du public.
Las
Casas, au contraire, a réellement vécu ce dont il parle : il connaît très bien son
sujet et s’implique personnellement dans son dialogue via des anecdotes
et des exemples concrets. Il décrit avec précision la dure réalité qu’il
dénonce, car il a partagé la misérable condition des Indiens et les a
vus mourir ; personne n’est mieux placé que lui pour défendre cette
cause. Il est engagé émotionnellement et a la force de transmettre ce
ressenti à son auditoire.
Viennent s’y ajouter un représentant de
la Couronne espagnole (le comte Pittaluga) et un légat du Pape (l'omnipotent
cardinal Roncieri), qui fait figure d’autorité suprême dans cette
assemblée et qui devra prendre la décision finale (une décision qui ne
manquera pas de surprendre tout le monde). On voit également apparaître
deux colons espagnols, des caballeros venus témoigner de leur expérience
personnelle et replacer le débat dans un cadre strictement économique
et pragmatique (en évoquant la main d’œuvre gratuite et irremplaçable
que cela représente, ainsi que le manque à gagner pour l’Église et
l’État). Sépulvéda va même jusqu’à faire venir des Indiens en chair et
en os, en tant que spécimens à étudier pour étayer ses théories.
Pour
vous donner une idée plus précise du contenu du livre (et pourquoi pas
amorcer ensuite un débat sur telle ou telle idée), voici
quelques arguments de chaque partie rapidement résumés :
Las Casas (contre l’esclavage) :
-
Les Indiens ne font pas la guerre aux Espagnols, mais se montrent au
contraire amicaux : il n’y a donc aucune raison de les massacrer ainsi.
-
L’évangélisation est incompatible avec la violence car ce sont deux
concepts fondamentalement opposés (notamment selon la Bible).
- Les Indiens ont leur propre perception de l’art et sont très habiles de leurs mains, voire même intelligents.
- Les sacrifices humains qu’on leur reproche et que l’on qualifie de barbares sont pourtant présents dans la Bible.
-
Les Indiens ressemblent aux Espagnols par bien des aspects (physiques
et moraux) ; ils sont des créatures de Dieu et méritent donc le respect
et la dignité dus à tout être humain.
Sépulvéda (pour l’esclavage) :
-
Les Indiens sont des animaux car ils offrent à leurs dieux des
sacrifices humains (ce qui prouverait de toute façon, même s’ils étaient
des hommes, qu’il serait indispensable de les évangéliser).
- Selon
Aristote, il existe des esclaves-nés désignés par la Nature ; c’est le
cas des Indiens qui sont stupides, ignorants et surtout dénués d’âme.
-
L’évangélisation libre et pacifiste menée dans certaines colonies n’a
donné aucun résultat : elle est donc impossible et ne peut passer que
par l’esclavage.
- Les Espagnols mènent contre les Indiens une guerre
sainte (et donc juste) afin de les évangéliser et de les convertir à la
véritable foi (le christianisme). C’est la volonté de Dieu.
Quant
à la fin du livre, elle est assez complexe et peut sembler frustrante,
mais je n'en vois pas d'autre possible... C'est à mon avis le meilleur
passage du roman, car c'est là que réside toute l'intelligence de
l'auteur. Il évite avec brio le « oui » ou le « non » catégorique au
profit d’une solution beaucoup moins simpliste… et beaucoup plus
intéressante ! Je ne veux pas en dire trop car c’est vraiment l’atout
majeur pour vous convaincre de lire la Controverse, mais sachez que
c’est extrêmement bien trouvé.
Quelques citations :
« Il a été dit par Notre Seigneur Jésus-Christ : "Je suis la vérité et la vie." Je vais m’efforcer de dire la vérité sur ceux à qui nous sommes en train d’enlever la vie. »
« Pourquoi avons-nous fait ce que nous avons fait ? Pourquoi toutes ces marches, et ces tempêtes, et ces batailles continuelles ? […] Pourquoi Dieu l’a-t-il voulu ? Pourquoi a-t-il collé les yeux de la plupart des hommes avec de la glu ? Pourquoi les a-t-il envenimés du goût de l’or et de la possession ? Pourquoi a-t-il donné à certains d’entre eux l’intelligence la plus fine pour défendre l’horreur totale ? Lui qui est l’éternel amour et la puissance sans limites, pourquoi nous a-t-il tirés vers le contraire de l’amour ? Pourquoi la haine et la violence sont-elles si fortes, si durables, si constamment établies dans nos cœurs ? Pourquoi ne sommes-nous pas comme les anges ? »
« Pour anéantir des coutumes que nous appelons barbares, nous nous sommes faits plus barbares encore ! »
« Il n’y a pas de Juif ni de Grec, il n’y a pas d’esclave ni d’homme libre, il n’y a pas de mâles ni de femelles, car vous êtes tous un dans le Christ Jésus. » (saint Paul)
- Le site de l’éditeur
- L’article Wikipédia sur la controverse historique
- Deux biographies de l’auteur : ici et là.
Commentaires :
Bonjour,
Je dois rendre une fiche de lecture sur "La controverse de Valladolid " , cependant je dois choisir un passage que j'ai préféré et dire pourquoi. Or il y a tellement de passage intéréssant que je ne sais lequel choisir et surtout comment l'expliquer. Ce n'est pas du tout facile...Si vous pourriez m'aider.
Bien Cordialement
Bonjour , je trouve que votre article est très intéressant mais j'ai besoin d'aide , jai une composition à faire pour mercredi sur la controverse de valladolid et dans mon plan je dois démontrer l'efficacité du discours de Las Casas ainsi que le choix de sa stratégie argumentative .
Si vous pouvez m'aider silvouplait
Bonjour Nemesia, je m'appelle Pascal Melka. J'ai lu vos deux blogs sur la controverse de Valadollid avec beaucoup d'intérêt. J'avais vu le téléfilm et la pièce de théâtre mais je n'ai pas lu le livre. Aussi ai-je appris beaucoup de choses, à commencer par le fait que cette histoire prend des écarts par rapport à la réalité historique et qu'il n'est pas certain que Sepulveda et Las Casas se soient vraiment rencontrés.
Moi aussi, je suis surpris par la scène finale mais pas pour les mêmes raisons que vous. Quand le président du tribunal prend parti pour l'esclavage des Noirs, cela correspond malheureusement à la réalité historique. Il n'est donc pas surprenant qu'il le fasse.
Ce qui est plus surprenant, selon moi, c'est qu'il désavoue Sépulvéda sur les Amérindiens. Et ce pour deux raisons. D'abord parce que, tout au long du procès, il me semble s'orienter clairement contre Las Casas (à qui il reproche, entre autres, de trop insister sur les massacres). Ensuite parce qu'il ne me ssemble pas que cette fin corresponde à la vérité historique. Dans la réalité, Las Casas n'a pas été vraiment très écouté même pouur les Amérindiens et ceux-ci ont été exterminés.
En ce qui concerne l'esclavage des Noirs, le problème n'est pas selon moi qu'il a fallu compenser la proclamation des droits des Amérindiens par l'asservissement d'un autre peuple. Le problème est qu'il fallait d'autres esclaves, les Amérindiens étant morts.
Contrairement à ce que semblent suggérer le livre, la pièce de théâtre et le film on n'a pas accepté de suivre Las Casas sur les Amérindiens pour refuser de le suivre sur les Noirs. Il me semble que Las Casas n'a été suivi sur aucun point.
Nemesia
Besoin d'aide ?
J'ignore si La Controverse de Valladolid est toujours inscrite au programme scolaire, mais je sais que les collégiens ou lycéens peuvent parfois avoir besoin d'aide pour rédiger une dissertation ou un devoir. Si vous avez des questions précises à me poser sur un personnage, un argument ou une idée, n'hésitez pas, j'y répondrai avec plaisir !