La trilogie de Philip Pullman est sans doute l'une des meilleures séries que j'aie jamais lues, aussi bien en littérature adulte que jeunesse. J'en garde un souvenir très marquant et je n'hésite pas à affirmer que cette saga mérite amplement son succès commercial et sa renommé actuelle, malgré une adaptation cinématographie fort décevante. L'auteur maîtrise avec brio ses univers et ses personnages, dans un style d'écriture riche et efficace qui nous maintient en haleine jusqu'au bout. On ne parvient pas à s'en détacher avant d'être arrivés à la fin de l'histoire, une fin surprenante et bouleversante dont on ne sort pas indemne.

La multiplicité des sujets et des publics

À la croisée des mondes n'est pas un livre qui se résume. C'est un livre qui se dévore ou qui se savoure, qui s'apprécie et qui se déguste, mais dont la substance est tellement prolixe et complexe qu'on ne peut la définir en quelques phrases. Certes, il y a un matériau de base autour duquel est construit le reste de l'histoire : c'est le premier niveau de lecture, le plus simple et le plus accessible (néanmoins très intéressant), celui que comprennent généralement les pré-adolescents qui se plongent dans ces romans. Mais il y a pourtant tellement plus !

La trilogie entière n'est qu'une vaste métaphore de la vie et de la mort, une explication des pouvoirs en place dans notre monde, une transposition de l'opposition entre l'Église et l'État, un voyage initiatique, une quête identitaire, une description de l'adolescence... On peut y retrouver quasiment tout ce que l'on veut, d'une manière tellement subtile et indirecte que ça ne gêne en rien la lecture si on ne le cherche pas particulièrement. L'un des grands avantages de ce livre est de parler aussi bien aux enfants de 10 ans qu'aux adultes de 50 ans, sans leur dire la même chose mais en éveillant chez chacun des échos très personnels. Il séduit aussi bien les fans d'heroic fantasy appréciant la magie et les combats que les intellectuels à tendances philosophiques, satisfaisant des besoins divers et variés.

L'intrigue

Le premier roman s'intitule Les Royaumes du Nord. Il se déroule dans un univers parallèle au nôtre, qui lui ressemble beaucoup mais qui se révèle davantage étrange et fantastique. Tout commence avec une jeune fille nommée Lyra, une héroïne avec juste ce qu'il faut d'audace et d'insolence pour quitter son ennuyeux pensionnat et partir à l'aventure. Sans oublier le courage et l'intelligence qui lui permettront de traverser les épreuves qui l'attendent et de poursuivre sa quête ! Bref, un personnage typique des romans de fantasy, mais suffisamment attachant et profond pour nous entraîner à sa suite et nous intéresser à son sort.

C'est l'enlèvement de son meilleur ami qui vient bouleverser sa vie : quand la bande de ravisseurs qui sévit dans tout le pays s'en prend à lui, Lyra refuse de l'abandonner et se lance à sa poursuite. Elle est accompagnée de son dæmon Pantalaimon, une créature surprenante dotée de parole et capable de changer de forme (jusqu'à ce que sa partenaire humaine entre dans l'âge adulte). Tous les êtres humains de ce monde sont liés à leur dæmon de manière tangible et définitive : ils ne peuvent pas se séparer ni même s'éloigner l'un de l'autre. Mais cette force qui unit les deux espèces n'est pas forcément bénéfique, et pourrait s'avérer très dangereuse si elle était exploitée par les mauvaises personnes.

Lyra en fera la désagréable expérience et devra tout mettre en œuvre pour retrouver son ami et sauver le monde tel qu'elle le connaît, quitte à voyager dans un univers parallèle pour trouver la solution. Les ennemis qu'elle rencontrera  sur sa route seront nombreux et puissants ; et ses alliés pour le moins inattendus. Mais le mystère qui l'entoure et ses étonnantes particularités font d'elles une personne à part, que certains s'acharneront à détruire quand d'autres tenteront de la protéger. Trahie et manipulée, elle devra finalement accepter l'idée d'appartenir à quelque chose qui la dépasse, pour accomplir son destin et rétablir l'équilibre.

Mon avis

Tout le talent de Philip Pullman s'exprime dans cette magnifique trilogie, réussissant à développer une intrigue touffue et ramifiée sans jamais perdre le lecteur ni devenir obscur. L'auteur retombe toujours sur ses pattes et ne perd pas le fil de l'histoire, retrouvant constamment son chemin dans un labyrinthe d'intrigues secondaires. Chaque pierre est utile et participe à l'édifice final, formant un ensemble cohérent et très agréable à lire.

Il suffit d'un brin d'imagination pour se glisser dans la peau des personnages et pour faire vivre leur univers : un monde nouveau s'offre à nous et ne demande qu'à être exploré. On vibre au gré de leurs émotions et de leurs voyages, on pleure et on rit pour eux et avec eux. Leurs souffrances sont les nôtres, leurs joies nous enthousiasment. On se laisse entraîner dans leur sillage sans hésiter et on n'en a jamais assez.

Pullman signe ici une œuvre d'une grande finesse et d'une extrême sensibilité, dont la richesse n'est pleinement perceptible qu'à travers plusieurs lectures successives. On manque forcément quelques détails plus ou moins importants lors du premier passage ; ce n'est qu'en revenant ensuite sur le texte qu'on se rend compte qu'on peut l'interpréter différemment et qu'il prend alors une toute autre dimension. Il faut bien admettre que le suspense est tel qu'on n'a guère le temps de s'arrêter pour réfléchir sur une scène précise, on a trop envie de découvrir la suite !

Mais À la croisée des mondes fait partie de ces livres qui ne lassent jamais, qui nous étonnent encore à la troisième lecture et qui nous poussent à réfléchir et à nous questionner longtemps après les avoir refermés. En conclusion, les thèmes abordés sont fondamentaux, servis par une histoire prenante et par une écriture vive (qui garde toute sa saveur dans la traduction française). Un mélange parfaitement dosé qui ravira petits et grands !